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De la centralité du travail

Chez No Trouble, lors de nos interventions en entreprise, nous sommes appelés à revenir régulièrement sur la notion de centralité du travail. Nous considérons en effet que le travail occupe une place centrale pour l’individu dans la société. Nous pensons que seul le travail permet de se positionner au regard de ceux qui nous entourent et vis à vis de nous-mêmes. Cela peut paraître parfois étrange à nos interlocuteurs, tant les détracteurs du travail sont désormais devenus nombreux. En effet, depuis quelques années, poussés par les campagne marketing dans une civilisation du loisir abordée comme une terre promise, travailler peut paraître superflu, voire louche, à certains d’entre nous. Et pourtant, quand on « n’a pas de travail », vivre et se sentir bien dans notre société, devient très complexe. On l’imagine volontiers d’un point de vue financier ne serait-ce que pour se loger, se nourrir. Nous prétendons ici que l’enjeu dépasse largement la seule satisfaction de nos besoins primaires et vient raisonner sur les fondements mêmes de nos vies en tant qu’être social.

 

Que signifie « ne pas avoir de travail » ?

On peut sincèrement se poser cette question, en toute bonne foi, quand on écoute des personnes restées « sans emploi » durant plusieurs années. Et nous ne parlons pas uniquement des « chômeurs de longue durée » qui accomplissent bien souvent un travail de longue haleine pour retrouver une place dans la société. Pour avoir accompagné quelques uns d’entre eux, nous pouvons en témoigner : Sortir d’un chômage de longue durée, qu’on soit jeune ou qu’on soit plus agé, n’a rien d’une promenade de santé. Il faut s’organiser, devenir le coach de soi-même, apprendre de nouveaux métiers comme le marketing personnel, le démarchage, la rédaction de cv, la préparation aux entretiens… Tout cela c’est du travail. Même s’il n’est pas rémunéré.

Par exemple, et même si ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui dans toutes les cultures, nous nous souvenons de nos grands-mères pour lesquelles élever les enfants restait une activité à temps complet, totalement incompatible avec l’idée même d’occuper un emploi en parallèle. Les femmes se battaient alors pour qu’on considère qu’être mère au foyer avait autant de légitimité en termes d’activité, que d’être employé de bureau, aide-soignante, cuisinière, femme de ménage, enseignante, psychologue, etc… voire un mix de tout cela en même temps.

Autre exemple classique : l’artiste… Oui, c’est vrai. L’artiste, est rarement « employé » ou alors le plus souvent dans un format « intermittent » quand il s’agit d’art vivant. On peut aussi lui commander des oeuvres quand il officie dans l’art plastique. Mais encore cela ne suffit pas à tout le monde, puisque j’ai surpris pas plus tard que la semaine dernière la conversation suivante entre un artiste peintre et un coach en entreprise :

Le peintre : « Je suis en train de vendre mes œuvres et ça me rassure pour l’avenir »

Le coach : « ok, mais ça n’est pas ton vrai travail. Comme beaucoup de gens dans ton cas et tous les artistes qui n’ont pas réussi. Tu fais quoi dans la vie, en fait ? »

Peindre ne serait pas un travail, puisqu’on n’en tire que très rarement de quoi subsister. Lier systématiquement la notion de travail à une forme de rémunération est un abus de langage qui a tendance à tirer nos énergies vers le bas, ralentir notre capacité de production et surtout masquer de la façon la plus grave pour nous tous, ce qui reste majeur dans notre société : Permettre aux individus de se sublimer. Pourtant, on ne se pose pas les mêmes questions pour les bénévoles d’association caritatives ou sociales, qui sont sur le pont du matin au soir et du soir au matin, sans être rémunérés. Eux non plus, ne seraient pas en train de « travailler » ?

 

Devrait-on toujours souffrir au travail ?

Et puis il y a autre chose de plus fondamental. C’est cette croyance délétère qui promet que tout travail doit être souffrance. Il est vrai qu’il s’agit là de rendre un peu de la monnaie à ceux qui réussissent et qui, bien mal éclairés se vantent ensuite « de ne pas vraiment travailler » dans la mesure où ils jouissent de leur passion. Effectivement, sans travail, il n’y aurait pas de gêne, c’est bien connu. Mais c’est aussi sans compter sur le fait que sans travail, il n’y a aucune satisfaction et qu’un être qui travaille, c’est un être qui se heurte au réel, peine, rechigne, détruit, reprend et finalement exulte lorsqu’il est parvenu à dépasser les murs et les freins.

Un artiste qui crée est un artiste qui travaille… même quand il s’agit là d’une phase fortement satisfaisante pour son propre ego. Même quand lui même en oublie qu’à un moment, il a expérimenté des difficultés.

Il est urgent de faire le tri entre « travail » et « emploi ».

En effet, bénéficier du sésame que constitue encore pour beaucoup d’entre nous le contrat de travail à durée indéterminée, ne représente pourtant pas forcément un gage de bonne vie, agréable et rassurée. Si on distingue l’emploi, administrativement déterminé par un contrat de travail, un contrat de prestation, tout contrat passé contre lequel on obtiendra une rémunération. Si on distingue ce type de contrat de l’activité même du travail qui consisterait à résoudre le réel à son avantage, à plier la matière ou l’esprit pour qu’il corresponde à l’objectif qu’on s’est fixé a priori, alors… Alors certains travaillent encore aujourd’hui et beaucoup sont employés, mais il ne s’agit pas forcément des mêmes.

On peut être employé, sous contrat de travail, et ne rien avoir à faire de ses journées ou encore avoir à accomplir des tâches tellement procédurées ou tellement éloignées de l’objectif avoué, qu’elles ne laissent plus du tout la place à la moindre activité intellectuelle de la part de l’employé. Ces situations n’ont rien d’enviable. Même contre salaire, elles ne permettent plus de satisfaire à un besoin fondamental de l’être humain : se sentir utile à quelque chose, utile à son prochain, utile au collectif que représente l’entreprise. Ces situations génèrent potentiellement de la maltraitance, institutionnelle le plus souvent.

Pire, quand l’activité en question est contraire aux principes de l’employé, s’il n’est pas capable de s’arrêter de penser, l’activité elle-même devient une véritable torture lente et méthodique qui pousse doucement celui qui reste lucide vers des pathologies chroniques. On a même vu des cadres supérieurs se suicider sur le lieu de travail pour avoir été amenés trop longtemps à tenir des positions « irresponsables » entre deux injonctions paradoxales où l’intelligence n’avait véritablement plus du tout sa place. Impossible de travailler dans ces conditions, au sens où il est donc impossible dans ce cas de résoudre les difficultés, de réduire l’écart entre la prescription venue d’en haut et la réalité de son propre terrain d’action.

On peut travailler sans être rémunéré, voire travailler en étant son propre employé, et on peut aussi être employé sans plus avoir la possibilité de travailler.

Des deux maux, nombreux sont ceux qui préfèrent encore le premier. Nombreux sont les JOB-Outers qui quittent les postes bien payés pour aller faire quelque chose qui a du sens pour eux, en un mot, travailler.

Retrouver le chemin du travail

Au sein du collectif que constitue l’entreprise, l’urgence est donc de retrouver le chemin du travail. Le travail, physique ou intellectuel, étant l’expression de l’intelligence à l’état brut, il s’agit là de libérer ces intelligences emprisonnées dans les processus, les standardisations et les représentations qui entravent les individus et les collectifs. Chacun a sa part de responsabilité dans cette situation et chacun possède une part de la solution.

Le sens même de ses propres actions étant probablement l’élément moteur le plus puissant, le plus efficace et le plus directement accessible pour retrouver le plaisir de travailler.

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